Blog – Impact d’une mission de conseil et d’ingénierie culturelle

Impact d’une mission de conseil et d’ingénierie culturelle pour la restructuration de l’Orchestre du
Pays Basque

Ce témoignage direct et libre de Rémi Bochard intervient un an après la mission de 40 jours répartis sur 6 mois menée au 1er semestre 2022 par Proarti consulting pour le compte de la Communauté d’Agglomération du Pays Basque, afin d’apporter des recommandations pour la structuration du nouvel Orchestre du Pays Basque. L’occasion aussi de s’interroger sur l’importance des politiques culturelles menées par les collectivités locales avec leurs partenaires publics.

Rémi Bochard, directeur général des services (DGS) de la communauté d’agglomération du Pays Basque depuis janvier 2021, après un parcours de haut fonctionnaire à Bercy au Ministère du budget puis en Guyane comme sous-préfet.

La communauté d’agglomération du Pays Basque a vu le jour en janvier 2017, et vous en avez pris la direction générale des services en janvier 2021, trois ans plus tard. Pouvez-vous nous décrire la situation à votre arrivée, et plus particulièrement celle de l’Orchestre du Pays Basque qui en dépend, et qui est l’objet de la mission de Proarti ?

Rémi Bochard – J’ai pris mes fonctions dans un contexte de jeune collectivité en crise de croissance qui avait besoin de finaliser sa structuration, les directions et satellites n’ayant pas toutes suivi le mouvement, notamment notre Orchestre.

Celui-ci a plusieurs caractéristiques. C’est le seul avec celui de Caen à être intégré au Conservatoire. Et il a par ailleurs souffert de l’absence d’un directeur et donc de conflits internes pendant plus de deux ans.

J’ai eu besoin très vite de me faire accompagner sur ce sujet car mes fonctions ne me laissaient que peu de marge de manœuvre : dans la communauté d’agglomération du Pays Basque, la témérité des élus a été de réunir 158 communes. C’est la plus vaste agglomération de France qui, en plus, réunit pas moins de 61 compétences : déchets, économie, eau, mobilité, habitat, logement, crèches, etc. 

 

Pourquoi avoir fait appel à une mission de conseil ?

Rémi Bochard – Cela n’a pas été mon 1er mouvement. Je suis peu partisan des cabinets de conseils. En préfecture, il y a peu de crédits budgétaires et j’avais donc pris l’habitude de travailler sans. Mon passage à Bercy m’avait à l’inverse fait comprendre que l’on passait beaucoup de temps à briefer les cabinets sur la production de rapports que l’on aurait pu faire nous-mêmes. J’étais opposé à cette approche qui induit une perte de compétence dans les administrations. 

C’est pourtant la solution qui m’a paru la plus évidente et la plus efficace car seul un regard extérieur pouvait nous aider à reconstruire une situation qui s’était enlisée du fait d’un contexte local politique et relationnel inflammable. 

Mes marges de manœuvre étaient limitées. J’avais dû, dès mon arrivée, porter des positions dures qui ne m’avaient pas permis de gagner la confiance des décisionnaires. Faire venir quelqu’un de l’extérieur permettait de porter un regard neutre sur la situation, en interrogeant les intéressés de manière détachée, non émotionnelle. 

Cela permettait aussi de marquer un début et une fin de projet : on se donne du temps mais pas trop.

Cela permettait enfin de rassurer les élus qui ont vu dans cette mission une aide bienvenue, dépolitisée, déterritorialisée qui allait pouvoir rendre ses conclusions de manière autonome. 

Cela me permettait au final de disposer d’un rapport de mission qui puisse dire certaines choses plus frontalement que ce que permet la nécessaire diplomatie dans les collectivités locales. C’est pourquoi je pense que la mission était le bon outil.

 

Le périmètre de la mission était clairement circonscrit à l’Orchestre. Mais les entretiens et les différentes rencontres ont engendré un nouveau périmètre. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Rémi Bochard – Il y  avait dès le départ une mission cachée dans mon esprit, qui était de faire monter les personnes rencontrées en compétence et en clairvoyance sur la réalité du monde de la culture.

Les auditeurs l’ont très bien vue mais ils ont été encore au-delà, faisant grandir le périmètre tout au long de la mission, pour lui donner une autre ambition qui a été validée parce que nécessaire.

Par exemple, ni le président ni moi-même n’avions en tête la question du transfrontalier qui s’est avérée nécessaire à creuser. Idem concernant les relations entre notre Orchestre, celui de Pau, la Scène nationale et le Ballet Malandain, donc avec tout l’écosystème local.

Nous sommes ainsi passés d’une mission classique de structuration administrative et budgétaire à une mission conseil en politique culturelle. Cet agrandissement de périmètre était tout à fait bienvenu.

 

Comment le pilotage de la mission a-t-il permis de gérer cette évolution en phase avec les commanditaires ? La gestion de la mission par deux instances très restreintes – un comité de pilotage et un comité de pilotage restreint – était-elle adaptée aux besoins ?

Rémi Bochard – C’est un diagnostic et ses 1ères conclusions qui nous ont ouvert les yeux sur la réalité des besoins et la nature de la mission, tels que je viens de les décrire. 

Nous avons dû nous adapter au contexte de crise interne car dans un monde idéal, il y aurait eu plus d’allers et retours avec le conseil d’administration du Conservatoire, plus d’informations, voire un copilotage de la mission. Ainsi qu’une implication plus forte d’un nombre plus important d’élus, voire du conseil exécutif de la communauté d’agglomération du Pays Basque.

Mais le contexte local nous a amenés à procéder de la sorte, à la demande des seuls Président et DGS, un peu comme une mission flash en nombre restreint, avec une confidentialité assez forte pour éviter d’enflammer plus encore la situation.

La gouvernance a été réglée par ce présupposé de départ à savoir une mission du Président et du DGS. La direction de la culture, la direction générale adjointe en charge de la culture, le personnel de l’Orchestre et du Conservatoire, à l’exception du directeur général du Conservatoire, n’ont pas été associés.  

 

Quel bilan général pouvez-vous faire de la mission, et comment résonne-t-il avec la situation et les besoins actuels ?

Rémi Bochard – La mission a été suffisamment habile pour arriver à des résultats satisfaisants pour toutes les parties, à commencer par le Vice-président culture et le Président. Les deux élus ont su facilement faire le service après vente politique pour éviter des déceptions.

Aujourd’hui, il est très facile pour nous de suivre les recommandations de la mission : nous disposons d’une feuille de route. La préfiguration du futur projet est lancée. Nous respectons les points de passage et suivons le calendrier, en espérant continuer à le tenir.

 

Il nous manque toutefois dans l’équipe du Conservatoire un responsable administratif et financier adapté aux besoins du futur de l’Orchestre. Si la mission avait disposé de plus de temps, elle aurait pu nous écrire des fiches de poste, le règlement du jury pour choisir le futur directeur musical et préconiser les premiers pas dans la structuration d’une recherche de mécènes pour financer l’Orchestre, dans un contexte de finances publiques sous contraintes. 

De fait, le mécénat n’arrivera probablement pas avant un ou deux ans. Or, il faudrait des mécènes qui montent à bord à nos côtés dès le 1er jour. Il y a une belle histoire à raconter.

 

Il nous manque également un certain nombre de journées de travail pour pouvoir aller dans le détail de ces questions. C’est la mission actuelle du préfigurateur qui a été désigné au sein du Conservatoire en fin d’année 2022 pour mener à bien la montée en puissance du nouvel Orchestre. Nous allons essayer de nous débrouiller en autonomie sans perdre l’acquis lié à la mission.

L’Orchestre symphonique du Pays basque.

C’est peut-être cela, une mission de politique culturelle : résoudre un problème interne au Conservatoire, en créant un contexte externe favorable, fondé sur la collaboration en confiance des acteurs culturels locaux.”

Toujours en termes de bilan de la mission, pouvez-vous nous décrire les impacts que vous constatez dans le territoire, ceux qui ne faisaient pas partie des attendus d’origine ? 

Nous avons déjà évoqué le développement des relations territoriales bilatérales du côté de Pau et du côté espagnol.

Mais il y a aussi le nouveau regard que porte la Drac sur cet orchestre jadis inexistant ; ou encore l’émergence de relations humaines fortes entre tous les acteurs culturels, notamment la direction de la Scène nationale. Ces gens se sont rencontrés grâce à la mission. Ils continuent de se voir, de se parler et d’imaginer des collaborations pour le futur. C’est un effet inattendu et très bénéfique que je salue. C’est peut-être cela, une mission de politique culturelle : résoudre un problème interne au Conservatoire, en créant un contexte externe favorable, fondé sur la collaboration en confiance des acteurs culturels locaux.

 

La mission a montré incidemment la jeunesse de la politique culturelle locale, qui fait que les acteurs commencent seulement à se découvrir. Nous sommes aux balbutiements de cette collaboration entre des partenaires qui auraient eu beaucoup de choses à faire ensemble depuis longtemps, mais qui ont dû patienter le temps que l‘agglomération se structure. 

 

Il y a tout à construire. La mission a montré que remonter un orchestre n’a de sens que si l’on monte en parallèle une politique culturelle à la hauteur. Sans la question du sens, un orchestre est un objet culturel que l’on pose et qui risque d’être hors sol. Et qui dit sens, dit réflexion sur la politique culturelle et  donc sur des moyens à la hauteur de l’ambition affichée. Cette posture, loin d’être simple, implique une certaine dose de courage ainsi qu’un engagement clair en faveur de la culture,  deux qualités présentes au Pays Basque mais qu’il s’agissait de canaliser.

 

L’arbitrage final sur l’Orchestre, issu de la mission, est un accord politique pour monter un orchestre doté d’un budget annuel d’1 M€, avec comme condition, elle-aussi politique, de doubler les concerts de l’Orchestre sur la côte et à l’intérieur du Pays Basque. Pouvez-vous commenter l’importance de cet arbitrage et de ses conditions, notamment comme élément-clé de la collaboration sur le territoire, et donc de la politique culturelle ?

Rémi Bochart – Il s’agit d’un geste fort du Pays Basque, conforme à nos ambitions initiales, qui aura des effets durables dans les années à venir. Il a eu par ailleurs un effet induit que je n’ai pas cité tout à l’heure, en permettant un arbitrage financier connexe pour que l’Agglomération devienne dès 2023 partenaire de la Scène nationale, afin de mieux irriguer l’intérieur du territoire. Sans cette première décision – le déblocage du financement de l’orchestre -, cette seconde décision n’aurait pas été possible. 

Nous avons été aidé en cela par le Ballet Malandain, venu demander à l’agglomération une subvention pour organiser deux spectacles en milieu rural. Leur succès a convaincu les élus de la partie rurale du territoire de l’intérêt de valoriser les richesses de l’offre culturelle présente sur la côte. Ces différents arbitrages financiers et le succès des spectacles dans les terres ont rejailli sur la Scène nationale. La crise énergétique a enfin accéléré cette évolution en diminuant les moyens de fonctionnement des mairies partenaires, qui ont eu intérêt à ce que l’agglomération vienne abonder le budget de la Scène nationale.  

L’apport de la mission a été de mettre la Scène nationale au premier plan comme partenaire de l’agglomération, à la fois pour qu’elle puisse travailler de manière optimale avec le futur Orchestre mais aussi pour apaiser la relation politique entre les principales villes de l’agglomération d’une part, l’Etat, le Département et la Région d’autre part, pour que ces derniers puissent, dans le futur, soutenir l’Orchestre. 

 

Nous sommes ici au cœur d’une politique culturelle qui est une équation complexe : la collaboration au service d’un projet politique territorial et d’un développement culturel du territoire qui s’appuie sur les opérateurs les plus structurants. La mission a permis d’aller beaucoup plus vite que ce que l’on aurait pu imaginer au démarrage de celle-ci et même lorsqu’elle a remis ses conclusions. Qui eut cru que le Vice-président culture qui n’avait aucune relation avec la Scène nationale voici quelques mois aurait à cœur de mener les discussions du partenariat avec celle-ci ? 

 

En guise de conclusion, pourriez-vous récapituler le bénéfice de cette mission de conseil ?
Rémi Bochard Je vois quatre points principaux : 

  • Un effet cathartique ou psychologique : tous ceux qui ont rencontré la mission ont pu se livrer. Dans un moment de crise, le sentiment d’être écouté, entendu dans son malaise, et pris en compte dans sa façon de voir est évidemment très utile. J’avais initialement mal mesuré cet effet, pourtant très bénéfique.
  • L’indéniable accroissement de la visibilité de l’Orchestre, que ce soit vis-à-vis de la Drac (direction générale des affaires culturelles), de l’Orchestre de Pau, de nos voisins du Pays Basque sud et notamment l’Orchestre national basque de Saint-Sébastien ou encore la Scène nationale.
  • Ni le Directeur général du conservatoire, ni moi-même n’aurions eu le temps, la liberté de parole et la légitimité pour obtenir tous ces résultats. Nous avons donc pu accélérer et obtenir de meilleurs résultats.
  • La légitimité technique de la mission a permis de faire arbitrer les élus alors que ceux-ci pouvaient légitimement hésiter à prendre des décisions au regard de la situation de l’Orchestre. Cette accélération des arbitrages et l’ampleur de ces derniers sur le plan financier se sont clairement fondés sur les éléments objectifs et techniques apportés par la mission. Confrontés à des spécialistes extérieurs, les élus n’ont pas pu se dérober aux arbitrages nécessaires et ce d’autant plus que la mission a su concilier les explications, le respect et la cordialité nécessaires tout en veillant à présenter les conséquences concrètes de chaque hypothèse entre leurs mains. C’est vraiment un effet que je n’aurai pas pu obtenir par manque de légitimité, à cette époque en tous cas, sur ces enjeux culturels complexes.

Proarti remercie l’ensemble des interlocuteurs rencontrés au cours de cette mission. A commencer par les principales parties prenantes : Jean René Etchegaray, Président de la communauté d’agglomération du Pays Basque, Monsieur Antton Curutcharry, Vice-président en charge de la politique linguistique Basque et Gasconne, de la culture et des équipements culturels communautaires, Monsieur Edgar Nicouleau, Directeur général du conservatoire et de l’orchestre du Pays Basque et tout particulièrement Monsieur Rémi Bochard, Directeur général des services. 

Nous pensons aussi à tous les acteurs culturels du territoire, notamment les musiciens et artistes de l’orchestre du Pays Basque ainsi que leurs collègues des orchestres de Pau et de Saint-Sébastien. Qu’ils soient ici remerciés ainsi que toutes les personnes qui nous ont consacré de leur temps.

Enfin, un remerciement spécial à David Olivera, directeur de l’orchestre Victor Hugo, partenaire essentiel à la réussite de cette mission. 

Suivez l'actualité Proarti sur nos réseaux

Pour plus d'informations

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *