VESTIGES

Extrait du scénario

Synopsis

Le Théâtre Municipal de Bastia, un soir de première. Ezy Rippart, la soixantaine, un des comédiens phare du spectacle, se présente au théâtre terriblement en retard après s’être perdu en ville sur les traces d’un amour de jeunesse. Tout en se prêtant tant bien que mal au jeu des préparatifs, le comédien est envahi par ce souvenir qui remonte à la surface. Il comprend peu à peu que cet amant est mort prématurément, emporté par le sida, ce qui le plonge dans un vertige immense à quelques minutes d’entrer en scène.

Intentions

Vestiges est l’histoire d’un deuil qui s’accomplit dans un lieu de célébration de la vie par excellence : les coulisses d’un théâtre.

Nous sommes deux auteurs et réalisateurs, Jofre Carabén et Yoann de Montgrand, et nous sommes aussi un couple. Ce film trouve son origine dans la rencontre d’histoires vécues dans notre chair et de celles d’amis trop tôt disparus. Un processus de réparation qui a résonné chez François Tchernia, troisième auteur du film, marqué lui-même par la perte d’un ami atteint du VIH qui s'était confié à lui avant sa mort.

Nous avons ainsi imaginé cette histoire de comédien vieillissant qui espère revoir un ancien amant. Dans un lent processus de passation, parce que cette histoire résonnait très fort en nous, nous l’avons écrite patiemment tous les trois, avec ce souci de creuser dans ces émotions.

Nous avons alors eu besoin de nous appuyer, pour imaginer Ezy, sur une figure familière, un ami, danseur et comédien, François Testory avec qui Jofre, comédien lui-même, avait partagé la scène dans différentes pièces. François a été notre muse, nous lui avons fait lire très tôt le projet dont il a accepté sans réserve de devenir le matériau. François, comme Ezy, a vécu de plein fouet l’apparition de l’épidémie, un souvenir qui reste à vif dans sa mémoire. Mais c'est aussi un homme de soixante ans à l'air à la fois resplendissant et enfantin, dont l'énergie demeure intacte et qui continue d'arpenter les planches à travers le monde.

Le processus d’écriture est devenu ce point de rencontre entre nous, avec toujours la volonté de rendre cet hommage sous forme d’allégorie : le “vestige”, c'est à la fois Ezy et le souvenir des disparus, ce lambeau à qui l’épreuve du temps confère une beauté immortelle.

Autour de ce noyau, il y a le monde de la scène. Jofre a officié comme comédien dans de nombreux opéras et différents pays. Yoann en a été l’observateur privilégié, en l’accompagnant d’une scène européenne à l’autre, parmi le vivier d’interprètes qui constituent chaque fois une communauté de vie éphémère et enflammée. Chaque personnage secondaire renvoie à des artistes qui nous sont proches et qui participeront au film.

L’histoire d’Ezy est une double traversée, celle des coulisses d’un théâtre jusqu’à la scène et celle des différentes couches de sa psyché.

Nous voulons adresser une lettre d’amour au monde de la scène, à celles et ceux qui le font vivre, et ce d’autant plus que la réécriture a eu lieu dans le contexte que l’on sait. Le film que nous souhaitons défendre ne varie pas pour autant, nous avons seulement le désir plus fort d’en embrasser chaque détail et de rendre ce monde de la scène plus vivant que jamais.

Réalisation

Ce film est le reflet de notre jonction entre la scène et l’écran.

Jofre vient du théâtre de mouvement, il est ancré dans un travail de corps et de création scénique. Yoann a exercé comme directeur photo, aguerri au plateau, à la lumière et à la relation aux comédiens. L’échange entre nos disciplines au fil des ans nous a inspirés mutuellement en nous offrant un regard à la fois distancié et plus émerveillé sur notre propre métier, qu’il s’agisse de la machinerie déployée dans les opéras de Terry Gilliam, pour qui Jofre a travaillé fréquemment, ou de la mécanique précise des plateaux de tournage sur lesquels Yoann a exercé.

Nous rêvons de ce film comme d’un grand écart entre cette arrière-cour foisonnante qu’est le monde du théâtre et l’histoire intime d’Ezy, fragile et vécue à hauteur d’homme. L’équilibre du film repose sur cette tension : d’un côté la pléthore, la comédie et l’extravagance, de l’autre, le drame, le vide et la mise à nu pour Ezy.

Les coulisses d’une pièce avant le lever du rideau sont un espace où les éléments viennent s’ajouter les uns aux autres : des habilleur.ses qui déplacent des portants surchargés de costumes à l’accessoiriste qui dispose chaque poignard de jeu sur une table, en passant par les interprètes à moitié costumé.es sous leurs peignoirs qui chauffent leur voix et leurs corps jusqu’aux musiciens en retard buvant un dernier café avant de rejoindre la fosse. Ce petit capharnaüm de gens et d’objets, aux fonctions diverses et spécifiques, qui s’organise miraculeusement, est la toile de fond sur laquelle notre personnage va évoluer.

Un film de comédien.ne.s

Vestiges est avant tout un film de comédien.ne.s, généreux et coloré dans le jeu. Nous assumons ce ton délicieusement décalé, avec des personnages fantasques, maniérés, joyeux, démesurés, en un mot : théâtral !

Cette histoire est nourrie de nombreuses figures qui nous sont proches. En premier lieu, Jofre a travaillé à plusieurs reprises avec François Testory, qui nous a inspiré le personnage d’Ezy. Formé comme danseur à la mythique école Mudra de Maurice Béjart à Bruxelles, François a ensuite été interprète pour des compagnies de prestige international comme Lindsay Kemp, DV8 ou Akram Khan, en gardant l’énergie d’un enfant de l’Aveyron à l’accent indéboulonnable.

Le film trouvera son équilibre entre l’énergie déployée par le jeu des comédiens et la retenue nécessaire pour emporter le spectateur dans l’odyssée intime d’Ezy.

Jofre Carabén et Yoann de Montgrand