Mille Heures

Le mot des réalisateurs :

« Il est assez ironique que l’ampoule, qui est souvent représentée comme le
symbole des idées et de l’innovation, soit aussi le premier exemple d’obsolescence
programmée. »
Nicols Fox, journaliste et essayiste

Pendant ses études d’ingénieure, Marion découvre cette histoire étonnante :
en 1924, la plupart des grands industriels de l’ampoule se rencontrent pour créer le
cartel Phœbus. Ensemble, ils décident d’abaisser volontairement la durée de vie de
leurs ampoules, alors qu’à cette même époque de nombreux brevets d’innovations
auraient pu permettre de l’étendre encore davantage. Ils mettent ainsi au point une
ampoule standard qui ne dépasse jamais mille heures, sous peine d’amendes qu’ils
s’imposent eux-mêmes en cas de manquement. Cet accord durera plusieurs
décennies, et constitue pour beaucoup d’historiens le premier exemple documenté
d’obsolescence programmée à grande échelle.
Il y a quelques temps, nous discutions à nouveau de cette histoire. Étant tous
les deux sensibles à la cause écologique, et au vu de son urgence actuelle, cet
épisode historique a résonné en nous de manière particulière. Certes il faut avoir
conscience du contexte de l’époque, et du fait que les membres du cartel Phœbus
n’envisageaient peut-être pas les ressources de notre planète comme étant limitées.
Mais cette plongée dans la genèse de ce qui constitue l’une des dérives les plus
emblématiques du système capitaliste nous a passionnée. En outre, la lutte contre
l’obsolescence programmée reste un combat loin d’être gagné : si une loi de 2015
l’a enfin rendue illégale en France, celle-ci reste encore difficile à appliquer et de
nombreux abus continuent d’être observés.

Dès lors, nous avons décidé d’écrire un film sur ce sujet. Au cours de nos
recherches, notre attention se porta en particulier sur cette première réunion du
cartel Phœbus en 1924 : qu’a-t-il pu se dire pendant cette rencontre ? Comment ces
capitaines d’industrie ont-ils pu se justifier à eux-mêmes de réduire à dessein la
qualité de leurs produits ? Étaient-ils d’un cynisme parfait ou bien ont-ils cherché à
défendre l’indéfendable par quelques cheminements moraux tortueux ? C’est dans
cette salle de réunion, où des hommes de pouvoir ont pris cette décision absurde,
que se situait le nœud dramatique de cette histoire. Ainsi, la forme du huis clos
s’imposa rapidement.
Depuis notre première collaboration, autour du court-métrage Carné.e.s,
lauréat de l’appel à projets Canal + On s’adapte, nous avons choisi la comédie pour
aborder les enjeux politiques qui nous semblent importants.

Avec Mille heures, nous pensons que la création du cartel Phœbus peut donner lieu à un comique
situationnel riche, que nous espérons servi par des dialogues à la fois grinçants et
percutants. Pour cela, nous nous inspirons des écrits d’Éric Vuillard, qui sait
dépeindre avec humour l’absurdité ou l’immoralité d’épisodes historiques
(notamment dans ses livres L’ordre du jour et Une sortie honorable), mais aussi de
films comme Love and death de Woody Allen ou encore des deux premiers OSS
117 de Michel Hazanavicius.

Nos personnages masculins, que ce soit M. Rosier ou nos chers MM. Chabrier,
Kraus, Miller et Varga, sont tous tellement obnubilés par leurs fonctions et le jeu du
marché qu’ils ne relèvent pas l’absurdité de la situation. De leur côté, nos deux
personnages féminins sont très différents l’un de l’autre. Alors que Jeanne semble
se résigner à rester dans le cadre de son rôle de secrétaire, Louise est une jeune
femme révoltée. Si nous avons décidé de commencer et de finir le film avec elle,
c’est que Louise est la seule à voir la situation avec un certain recul. C’est ce qui
provoquera son indignation : envers ces industriels qui ne pensent qu’au profit,
mais aussi envers les rapports de domination auxquels elle assiste, que ce soit des
rapports hiérarchiques (le licenciement abusif de son père, M. Rosier) ou des
rapports sexistes (le paternalisme avec lequel les hommes s’adressent aux deux
femmes).

La révolte de Louise est aussi la nôtre, celle d’une génération qui se sent
prisonnière de ses décideurs. De leur idéologie qui empêche de mettre en œuvre
les conditions de préservation de notre planète. C’est aussi l’occasion de se moquer
de codes attachés au monde du travail, ici exacerbés par le contexte historique mais
dont certains persistent encore, de la violence des rapports hiérarchiques au
sexisme ordinaire.

Pour toutes ces raisons, nous tenons à faire ce film et nous espérons avoir la
chance de le faire grâce à vous

Léo Deschênes et Marion Moneuse