FROID de Lars Norén

Cette mise en scène est née d'une rencontre. J'ai eu la chance de croiser Stéphane Casorla lors d'un festival de théâtre où nos 2 pièces ont été jouées. Il m’a très rapidement parlé de Froid et de son envie de remonter sur scène avec ce texte qu'il avait joué précédemment dans le cadre de ses travaux de fin d'études et qui l’avait profondément marqué.

A la lecture de la pièce, je mesure immédiatement l'immense force de ce texte, organique et viscéral, qui semble écrit d’une traite et qui est à la fois d’une violence inouïe et terriblement quotidien. Lars Norén utilise le vrai langage de notre époque pour retranscrire cette histoire basée sur des faits réels.

Cette histoire de 3 jeunes, paumés, abandonnés par la vie, enfermés dans une idéologie raciale transmise par leurs aînés et qui vont commettre l’irréparable.

Unis dans le crime. Unis également par l’absence du père en tant que modèle. Unis dans la violence et la perdition. Keith, Anders et Karl ont pourtant 3 profils différents.

Keith est un meneur. C’est le seul des 3 garçons à avoir son idéologie nationaliste fortement ancrée. Le père est absent. « Je suis mon propre vieux » dit-il, sans doute pour faire croire aux autres que ces idées sont les siennes et n’ont pas été transmises par un contexte familial violent, qu’il n’a pas été manipulé. Il cherche à réaliser son fait d’arme à tout prix, peut-être cherche-t-il l’appartenance à un groupe plus grand. C’est à mon sens pour cela qu’il souhaite être garde côte : être en première ligne pour tirer sur l’étranger arrivant par la mer et voulant entrer sur son territoire. Lorsque les 3 garçons se réunissent dans cet endroit isolé, Keith sait déjà qu’il vient ici pour tuer Karl. Et même si c’est Ismaël qui finit par commettre le crime, cela reste le fait d’arme de Keith, Ismaël n’est qu’un instrument.

Anders a plus une idéologie « par défaut ». Dans un état second permanent, sans grande personnalité, il copie-colle toutes les idées et tous les propos de Keith, sans trouver réellement sa place. Il est complétement radicalisé par Keith.

Quant à Ismaël, c’est une des victimes de la pièce. Il va jusqu’à renier ses origines, renoncer entièrement à sa dignité pour appartenir à un groupe qui le laissera finalement tomber une fois qu’il ne servira plus. Il n’est qu’un instrument de mise à mort dans les mains de Keith. C’est celui qui fait le lien entre le groupe Keith/Anders et Karl, le seul qui garde une part d’humanité dans l’horreur, le seul qui offre une vraie porte de sortie à Karl, le seul « récupérable ».

Karl, victime de la violence et du racisme de ces 3 jeunes, était malheureusement là au mauvais endroit, au mauvais moment. Même si on sent de la peur en lui au tout début de ses échanges avec le groupe, il tient finalement tête à Keith au péril de sa vie, refusant d’adhérer à des idées qui ne sont pas les siennes. Il garde son intégrité et croit au dialogue, ce qui le perdra définitivement. C'est à la fois la victime et le héros, le personnage qui relie le spectateur à la pièce. L’humain à l’horreur.

Nous ferons, dans un premier temps, un travail à la table, pour se rapprocher au plus près du texte et de ses silences, pour y extraire le dessin de chaque personnage. Retracer l’histoire de ces 3 garçons pour tenter de comprendre le sens de leur acte et tracer le chemin mental que fait Karl pour tenter de sauver sa peau.

Je souhaite une mise en scène sobre, au plus près du texte, aussi il y aura très peu de décor. L’embrigadement des plus faibles, le harcèlement et la persécution du « différent » seront au coeur de mon travail de direction d’acteur.

Lors du travail au plateau, je me servirai de l’humeur du jour de chaque comédien, notamment pour ceux qui interpréteront Keith, Anders et Ismaël. Nous tenterons ainsi d’apporter quelque chose de personnel à ces personnages, ce qui permettra de les rendre un peu plus humains et plus identifiables pour le public.

Pour qu’à la fin chaque spectateur se dise « Oui, nous pouvons tous être victimes, mais aussi tous être bourreaux. »