"conte : la ronde des scarabées"

Au départ de ce projet d’installation, une aquarelle volée en novembre 2022 à Kherson par les forces d’invasion russes

De mars à novembre 2022, les forces russes occupent Kherson. De façon préparée et méthodique, des agents du ministère russe de la Culture dressent l’inventaire des œuvres d’art exposées dans les différents musées de la ville.

Au moment où la contre-offensive ukrainienne est en passe de libérer Kherson, les forces militaires russes, accompagnées d’agents du FSB, brûlent les livres présents dans les bibliothèques, parce qu’écrits en langue ukrainienne ; ils pillent les églises, les musées… Parmi les œuvres volées, une superbe aquarelle peinte en 1914 par Mykhailo Zhuk, « Conte. La danse des scarabées ».

Mykhailo Zhuk (1883-1964) est un peintre, un graphiste, un céramiste reconnu de l’école moderniste ukrainienne, originaire de la région de Kherson. L’aquarelle volée résulte d’un travail d’observation mené dans le jardin de l’un de ses amis, Mykhailo Kotsiubuynski, qui vit alors à Chernihiv.

L’œuvre se construit autour de la présence d’une jeune femme, entourée par un cercle de scarabées, scène qui rappelle probablement le tableau de l’artiste anglais Edward Robert Hugues, « Midsummer Eve » (1908), que Zhuk a certainement découvert dans une revue artistique.

Cependant, l’artiste crée une œuvre complètement différente, remplaçant les elfes par des scarabées et la fille, par une jeune femme -probablement son épouse-, au milieu d’une forêt magique parsemée de fleurs ukrainiennes.

Face à de telles pratiques, dénoncer, résister et témoigner en recréant l’œuvre volée

Mykhailo Zhuk participe activement à la révolution ukrainienne à Kiyv, où il devient l’un des fondateurs et professeurs de l’Académie ukrainienne indépendante des Arts. Cette aquarelle sera d’ailleurs montrée pour la première fois lors de l’exposition des professeurs de cette académie en 1917, au moment où l’Ukraine cherche à affirmer son indépendance -il est très probable que ce contexte explique la disparition de cette œuvre…-.

L’art a toujours contribué à l’affirmation de l’identité nationale ukrainienne, mise en péril depuis des décennies, des siècles, et encore dans l’histoire actuelle de ce pays. Et parce qu’aujourd’hui, il n’est pas possible de baisser les bras face à une telle campagne de dénégation menée par Moscou, de nombreux projets émergent pour rappeler cet esprit créatif et le renouveler : c’est le sens du projet proposé ici par Ksenyia Kravtsova.

Bouleversée par la disparition de cette aquarelle, elle souhaite la restituer dans son travail de création en y apportant des nuances personnelles dans la transcription sculpturale qu’elle réalisera à base d’argile

Il s’agira d’abord d’incarner les fleurs mauves de l’aquarelle, symboles d’un amour pour la terre, celle du foyer originel, et d’une loyauté envers l’héritage spirituel des ancêtres. En cela, le concept du totem dans la pratique de la sculpture se prête parfaitement à l’exploration de la verticalité.

L’urgence désormais : exposer lors du prochain festival d’Avignon !

Sensible à la valeur symbolique de cette installation sculpturale, la bibliothèque Ceccano est prête à la recevoir et l’exposer le temps du festival, du 5 au 26 juillet prochains.

Il reste maintenant à financer le travail d’artiste de Kseniya Kravtsova, puis, à la fin du festival, son installation au siège de l’UNESCO à Paris lors d’une conférence sur la spoliation du patrimoine culturel ukrainien qui s'y tiendra d'ici la fin de l'année

Puis, la taille des scarabées et celle de la végétation : pour accentuer l’ambiance de merveilleux qui se dégage de l’aquarelle, ils seront disproportionnellement agrandis par rapport à la jeune femme représenté, évoquant ainsi « Alice au pays des merveilles ». Kseniya Kravtsova voudra de la sorte sauver le merveilleux ainsi que la mémoire du merveilleux dérobé.

Ainsi, la création sculpturale représentera l’ensemble de l’œuvre de Zhuk, mais la jeune femme ne sera pas présentée dans ses premières installations dans le cercle de scarabées : elle ne le rejoindra que lorsque l’aquarelle aura été retrouvée et rendue au musée régional d’art populaire de Kherson.