Champagne !

Le mot du réalisateur

Ce court-métrage tente de déceler les ambiguïtés que soulèvent les interprétations d'une œuvre artistique (en l'occurrence d’une performance d’art contemporain) ; d’en approcher leurs limites, et ainsi d’en questionner leur légitimité.

En d'autres termes, il cherche à examiner les zones grises entourant la compréhension d'une œuvre artistique, et ce, en posant la question de sa validité et de son fondement à travers différents regards.

Pour cela, le dispositif est assez simple. Un cadre : la galerie, un public et une œuvre. Le cadre est posé, il est clair, net, connu et rempli de tout un ensemble de stéréotypes. À l'intérieur de ce cadre, on introduit un facteur externe : l’intrusion de ce que pourraient être des manifestants. Seulement le film maintient l'ambiguïté de la situation. L’intrusion extérieure, bien que violente, est-elle intentionnelle, organisée, maîtrisée et ainsi, en elle-même, la performance artistique ? Est-elle seulement le produit d’un ensemble de corrélations et de hasards (une manifestation qui dégénère juste à côté de la galerie), ou bien, et si elle offre une interprétation politique en vient-elle à se corrompre, et par l’utilisation du médium “artistique” (bombe de peinture, anonymat, cris et chant) ne perd-elle pas sa vocation politique en étant interprétée de façon artistique ? Un ensemble de questions que soulève et laisse en suspens le court-métrage, puisque c’est de cette ambiguïté interprétative qu’il crée un objet réflexif.

Le danger qui accompagne ce film réside dans la frontière dangereuse qu’il entretient avec la satire. Danger car, pour être impactant, je pense que le film doit en passer par là, il doit proposer aux spectateurs un cadre familier, ou qu’il croit familier, et ce, à travers ses traits les plus visibles, ses éléments les plus évidents. Je pense que ce n’est qu’en disposant clairement, voire de manière exagérée, une situation, que l'on peut ensuite en explorer plus en profondeur les clichés et les stéréotypes, pour révéler ce qu'ils dissimulent.

Le spectateur y fera peut-être des distinctions de classes, et en fonction, de réactions, dont il interprétera la véracité selon sa sensibilité. Néanmoins le film ne veut pas être le dépositaire d’une vérité indiscutable. Il dispose, le spectateur interprète. Il n’y a pas de vérité. À noter que tous les dialogues du film sont le fruit de conversations rapportées et/ou de témoignages. J’ai personnellement été hôte d'accueil, et ayant travaillé dans cet univers, j’ai été témoin de ces discussions que je me suis contenté de rapporter. Ce qui, bien entendu, ne leur confère pas une valeur universelle, mais qui simplement me permet d’installer les conditions d’un réel connu et vécu. 

Je crois qu'il est nécessaire d'accorder une pleine confiance au spectateur et à son esprit critique. Dans cette perspective, il m'est cher de ne pas le prendre par la main, de ne pas lui apporter de réponses nettes. Au contraire, et à la manière de Michael Haneke, je souhaite l'interpeller sur ce qui lui est donné à voir, en lui laissant toute la liberté d'interprétation possible, liberté féconde, puisqu'elle lui permettra d'élaborer sa propre réflexion au contact du film.

En conclusion je dirais que l'intérêt de ce court-métrage réside dans la simplicité de son dispositif : la mise en condition d’un réel, détourné par une intervention extérieure qui peut se fondre, ou pas, dans ce réel, selon le point de vue. Pas de volonté d’en dégager une leçon ou une critique, mais simplement de disposer un ensemble de faits sujets à interprétation. L'ensemble crée une réflexion sur l'art et sa légitimité, soulevant des questions sur la valeur de ce qui est présenté et sur la possibilité, ou non, de l'interpréter.

Hector Ouzilleau