PRODIGUE, ou les rêveries d'un homme en chute libre

Bonjour! Pour commencer, qui suis-je?

Je m'appelle Eloi Lefebure et je suis acteur et auteur de ce qu'on appelle le théâtre physique. Quoi que c'est?

Basiquement c'est un théâtre dont l'élément central n'est pas le texte. Alors là les champs s'ouvrent prodigieusement. Un théâtre de corps en mouvement, un théâtre d'image, un théâtre d'énergie. En France ce type de spectacle n'est pas des plus représentés, en France le théâtre c'est le texte. pourtant dans le monde entier c'est ce que l'on trouve en majorité. Ça tombe bien c'est aussi ce qu'il y a de plus universelle. Ce théâtre physique peut prendre la forme du mime, du clown mais aussi de la marionnette, du théâtre d'ombres, du ballet, de la danse théâtre, sans parler de toutes les formes de théâtre traditionnel que l'on rencontre partout. si cela reste encore un peu abstrait, je vous invite évidemment à venir découvrir la puissance poétique, universelle et populaire du théâtre physique dans PRODIGUE.

Alors voilà ce que je fais, je crée des images sur scène, comme un peintre sur sa toile dont les éléments de composition se metteraient à vivre et danser, et surtout avec des personnages qui vivent des émotions, qui expriment au-delà de leur volonté. Et tout cela nous raconte une histoire souvent si intime ou si folle que l'on aurait peine à la saisir en la traduisant en mot. Cela permet même souvent de révéler des choses que les mots nous cachaient sans même qu'on s'en aperçoive. Les mots mentent, le corps moins... J'aime l'art quand il révèle.

Depuis 2017 avec le spectacle FOCUS, je défends un théâtre physique, gestuel et visuel qui tire une ligne, pas si droite, depuis le clown et le burlesque jusqu’au fantasmagorique et l’onirique. On partira toujours de situations d’apparence familière, quotidienne, presque banale, avec ce petit plus de burlesque. Et puis l’absurde viendra grignoter petit à petit la scène jusqu’à construire avec les derniers lambeaux de la réalité des cathédrales de surréalisme. Fortement influencé par l’art de David Lynch, entre autres, j'aime penser la création comme une quête à la poursuite ne serait-ce que d'un fragment de cette réalité qui nous échappe quitte à devoir plonger à travers les innombrables couches de nos rêves. C’est en cela que le théâtre avec ses mises en abyme parfois vertigineuses devient un véritable terrain de jeu pour moi. Dans cette quête absurde et universelle la seule boussole qui résistera sera nos émotions ou celles d’un personnage aussi attachant que décalé à l’instar d'Alice au pays des merveilles. Entre autres références inspirantes je cite dans le désordre : James Thierrée, Charlie Chaplin, Buster Keaton, Slava Polunin, Anton Adasisky, Terry Gilliam, Kazuo Ono, Jacques Tati, Marc Chagall, Philippe Genty ou Dimitri Papaioanou.

Pour cette création, je ne suis pas seul. Je suis accompagné par deux merveilleuses et talentueuses personnes que sont Marie-Juilie Communeau et Melanie Viot. Elles partageront la scène avec moi en tant que danseuse, manipulatrice (marionnette, objet et décors) et techniciennes lumière et son. Par ailleurs Marie-julie est photographe et nous lui devons les superbes clichés que vous découvrez ici et Melanie Viot est costumière et accessoiriste. Ensemble nous sommes capables de passer des heures en répétition sur des détails pour servir ce travail long et minutieux qu'est la création d'un spectacle.

Et maintenant,

Est-ce qu’assister au rêve d’un autre c’est un peu rêver soi-même ? Si oui, il est alors possible de rêver les yeux ouverts. Et si dans le rêve tout est possible, qu’est ce qui rend un rêve crédible ? Et puis, quel sens y a-t-il à suivre un rêve plutôt qu’une histoire réelle ? Il y a la question du rêve, de ce qu’il permet, de ce qu’il ouvre, le délire, le tout est possible. Mais aussi la question du rêveur, de ce qu’il vit, de ce qui l’anime et le tue. Et puis enfin il y a la question de ce que le rêve révèle, nous apprend, nous rend visible. Illusion et désillusion sont deux sœurs complices.

Et puis il y a la question de la mort. Il semble naturelle dans notre culture de l'associer au drame. Elle en devient un sujet tabou. Or le drame se nourit du tabou, la boucle est bouclée. Pourtant je sens que nous vivons actuellement un véritable changement, en tous cas sociétal, à ce sujet. Et je pense intimement qu'une réconciliation avec la mort peut nous amener à reconsidérer la vie comme un miracle, quotidien! Celle-ci peut s'approcher par la voie philosophique et rationnelle mais aussi par la voie du sensible, de l'indéscriptible, et sans oublier de l'humour! Voilà l'un de mes grand enjeux pour ce spectacle.

Laissez--moi vous présenter Willy. Un peu étrange et pourtant si proche de nous. C'est le personnage à travers lequel nous allons vivre cette histoire un peu folle puisque tout droit tiré de son rêve à lui.

Synopsis de PRODIGUE :

Willy travaille pour la multinationale Prodiguo, qui a développé la technique de l'élevage ultra-intensif géré par ordinateur. Une tour dont les 46 premiers étages abritent des centaines de milliers de bovins. Et au 47ème, l’innocent Willy et son ordinateur. Le décor est planté, il ne reste plus qu’à le faire exploser. Ce jour, Willy arrive au bureau et semble déjà prêt à craquer. Il saute du 47ème étage et pendant les quelques secondes de chute, son esprit s’évade, il rêve. Le temps se ralentit et les étages défilent comme un compte à rebours dont l’issue est connue de tous. C’est sous cette tension directrice qui viendra, progressivement s’effriter la réalité, qu’apparaîtra cette créature à tête de vache, que la tempête se lèvera emportant tout, sauf lui, et que seul à la poursuite de sa tour de babel, les étoiles se mettront à tourner prodigieusement vite autour de lui. A quelques secondes de la fin, l'urgence de la vie lui révélera l'autre dimension de son existence, celle qui ne peut que se passer de mot, celle du mystère.

Pour rendre l’onirisme aux yeux du public nous mettrons en scène avec une étonnante ingéniosité et des procédés techniques simple de déconcertantes inversions de dimensions, du vertical à l’horizontale, du plus petit à l’immense, du rapide au ralenti. Le théâtre de matériaux et la marionnette serviront toute l’étrangeté, l’impalpable et l’absurde de ce monde intérieur qui ne cesse de se fragmenter et de se reconstituer. Sur scène, un acteur/danseur/clown et deux manipulteur.ices et technicien.nes pour une plongée vertigineuse du 47ème étage jusqu’au plus profond de notre subconscient, et ce non sans humour et décalage.

Et j'en viens enfin à l'objet de cette collecte,

La scénographie !!!!!

Imaginez bien que le spectacle est sans parole. Alors commet donc allons-nous bien pouvoir comprendre une histoire si étrange? Déjà vous n'imaginez pas la clarté de l'expressivité que peut dégager un corps lorsqu'on le prive enfin de parole. Mais bien sûr ça ne suffit pas. Le décor va nous aider! Deux plaques de métal suffisent à figurer un ascenseur, un grand cube représente en perspective l'immeuble de PRODIGUO ou viennent s'articuler des figurines, des boîtes à meuh liés entre elles figurent un troupeau de vaches. Et il faut voir ces images comme leur signification est à la portée de n'importe quel enfant de huit ans et qu'en même temps elle préserve toute la poésie.

Une scénographie ingénieuse et modulabe : comme dans un rêve, les éléments constitutifs de l’environnement se composent et se décomposent, les échelles de tailles se mélangent et coexistent, créant des images mouvantes, insaisissables, voire impossibles. Pour composer cette hallucination palpable nous ferons appel à des matériaux choisis. En effet, chaque matériau contient en lui-même des connotations, des univers, des symboles et métaphores, des sensations : La poétique des matériaux, chère à Philippe Genty. L’écriture de PRODIGUE se nourrira de quatre matériaux :

La plaque de métal, le modernisme, à l’hygiénisme, à la bureautique, aux grattes ciel, froid et brillant. Le tranchant, la solidité, la matérialité froide. Droiture, puissance et excès.

Le tissu noir, soie ou feutre, métaphore de l’harmonie, du calme cosmique, de l’infini, du mystère, insondable et fluide, insaisissable et magique

Et La corde de chanvre ; le lien qui se tresse et s’effiloche, rugueux et chaud, le temps qui passe, de l’organique à inorganique, l’absurdité de l’existence et la préférence vers la folie

Mais aussi, La terre, le côté primaire, basique, premier élément constitutif de l’homme dans nombre de cultures. L’humus, l’humilité ou l’humiliation. Et nous reviendrons tous à la terre.

L'art de la scénographie mêle le sens de la perspective avec la sensibilité des matériaux et de leur impact sur la lumière et dans notre mémoire collective. Y compris celle qui habite les acteurs au plateau.

Et l'art de la scénographie c'est aussi l'ingéniosité de créer des éléments solides et facilement montables et bien sûrs transportable! C'est un métier.

Enfin j'aimerais préciser ici que ce spectacle est une déformation de ce que j'ai moi-même vécu. Avant de devenir acteur (physique bien sûr), figurez-vous que j'étais ingénieur il y a maintenant plus de dix ans. J'ai abandonné une carrière toute tracée, confortable et reconnue pour aller rejoindre la marge précaire et souvent dénigrée. Je ne me rendais pas compte, je dois l'avouer, que j'avais commencé alors à me dépouiller d'une armure de certitude, source de crises d'angoisse chronique, pour revêtir l'habit simple de l'errant et du voyant dont l'esprit est empli de doutes mais aussi de paix. Il y a plus de dix ans j'ai sauté dans le vide, ai vu la mort, et me suis rendu compte que depuis la naissance nous sommes dans une chute constante. Et que nous nous servons de nos mains pour nous masquer les yeux plutôt que pour essayer de planer.

Ce spectacle comme un message du Éloi de 2023 à l'intention de l'ingénieur angoissé. Puisse que d'autres en profitent!