MELLITUS

NOTE D'INTENTION ET DE RÉALISATION

« Au vu des éléments cliniques ainsi que des caractéristiques du patient, il s’agit bien d’un Diabète de Type 1.

À confirmer avec une recherche d’anticorps spécifiques par prise de sang ».

Ces quelques mots prononcés par mon endocrinologue ont bouleversé ma vie à tout jamais. Ils m’ont violemment projeté dans un monde nouveau, celui d’une maladie chronique auto-immune mystérieuse : le diabète insulino-dépendant. La sentence qui venait de tomber sonnait comme une double peine tant elle mettait en péril mon intégrité physique et ma carrière de comédien. Certes, elle avait mis des mots sur les maux qui me rongeaient depuis une année : forte myopie, soif inextinguible, envie d’uriner constante, fatigue extrême, mais elle avait, surtout, soulevé beaucoup d’interrogations auxquelles j’allais devoir répondre seul : vais-je supporter toutes ces contraintes ? Vais-je finir aveugle ou dialysé si je n’arrive pas à stabiliser mon diabète ? Comment éviter de perdre connaissance si une hypoglycémie me prenait en plein tournage ou en conduisant ?

À ces questions se sont ajoutés la colère, le sentiment d’injustice et le rejet de la maladie. Mais très vite ma joie de vivre, mon optimisme et ma détermination m’ont poussé à accepter ma condition. Désormais, je ne subirai plus, mais je dicterai le tempo, ce sera au diabète de s’adapter à moi et non l’inverse. Le changement d’attitude et l’approfondissement de mes connaissances sur le sujet m’ont permis de parfaitement stabiliser mon taux de sucre et de devenir « patient-expert ». En parallèle de mes tournages, j’ai donc, entre autres missions, fait bénéficier de mes connaissances et de mon expérience du diabète à d’autres malades en animant des groupes de parole où chacun vient raconter son histoire, exposer ses craintes et chercher des réponses à ses questions auprès d’autres personnes atteintes du même mal. Certains récits bouleversants et la puissance de nombreux témoignages, dans lesquels je me suis parfois retrouvé, ont, dès lors, nourri mon projet d’écriture : Mellitus.

Il m'apparaît, aujourd’hui, essentiel de raconter mon histoire, dans ce premier scénario de fiction, dans un dessin résolument optimiste, pour casser des idées reçues sur le diabète de Type 1 et sensibiliser les spectateurs à une maladie encore trop méconnue dont souffrent 400 000 personnes environ en France. L'œuvre, qui se déroulera en 24 heures, se concentrera sur l’évolution de mon personnage principal, Axel, un jeune comédien diabétique en grande difficulté. Cette unité de temps permettra, à mon sens, de mieux souligner le changement d’état d’esprit opéré par le protagoniste. D’abord en situation de rejet total du diabète et de tout traitement associé, il va finalement se diriger vers l’acceptation de sa maladie et donc de la guérison. J’ai souhaité faire germer cette idée chez le héros par son début de romance avec Emma, une étudiante épanouie, diabétique, elle aussi, qui a fait de sa pathologie une force. S’il se montre tour à tour seul et révolté, son histoire d’amour naissante avec Emma viendra se placer comme véritable élément déclencheur de l’intrigue. J’ai volontairement décidé de mettre en scène un personnage assez « noir » au début du récit pour deux raisons. Pour être plus proche du réel et ainsi mettre en exergue les difficultés physiologiques et psychologiques quotidiennes qu’Axel rencontre en tant que patient en échec thérapeutique d’une part et, d’autre part, par opposition avec la personnalité solaire d’Emma. À cet effet, je voudrais montrer, dans ma réalisation, comment se vit une hypoglycémie sévère comme celle d’Axel qui perdra connaissance au début d’une audition. Cela marquera, du reste, l’instabilité chronique de cette maladie avec des taux de sucre tantôt très élevés et tantôt très bas. Enfin, face à Axel, se tiendront Sofiane et Teddy, ses deux amis d’enfance, qui connaissent pourtant peu, voire mal le diabète. Cette méconnaissance globale appuiera l’isolement d’Axel, bien qu’entouré de proches bienveillants et compatissants, auquel j’ai dû, moi-même, faire face. Si j’ai choisi l’amour comme meilleur remède à la maladie c’est parce qu’il est, à mon sens, consubstantiel à toute forme de bonheur. Yasmina Khadra a dit : « L’amour est fait de hasard et de chance. A une bretelle de la vie, il est là, offrande sur le chemin ». Emma symbolisera cette offrande, et donc cet amour, qui permettra à Axel d’enfin accepter sa condition et de voguer vers un avenir plus serein. Le dialogue de fin des deux protagonistes à l’aube matérialise, à cet effet, le début de résilience d’Axel qui clôturera le film sur une note positive et pleine d’espoir.

Pour finir, je tournerai ce court-métrage dans ma ville d’origine, Montargis, qui m’est chère. Ce sera pour moi l’occasion de conjuguer ma passion du cinéma à celle de transmettre cette histoire qui me tient tant à cœur de raconter maintenant.

J’aimerais à travers ma réalisation montrer toutes les complications de la maladie auxquelles Axel doit faire face et que j’ai moi-même vécues : les symptômes d’un diabète complètement déséquilibré, la nervosité permanente due au déséquilibre hormonal et l’isolement. Ainsi, des plans de vue à l’épaule permettront de retranscrire la tension du personnage et sa révolte contre sa pathologie. J’utiliserai, par moment, la caméra en point de vue subjectif pour placer le spectateur au plus près d’Axel et ressentir avec lui la forte myopie que vit le personnage, par effet de flou, à cause d’un taux de sucre bien trop élevé ou encore une vision qui se blanchit et des voix au son étouffé et robotique lorsqu’il sera pris d’une hypoglycémie sévère en pleine audition. Je voudrais aussi utiliser une profondeur de champs très courte pour détourer le personnage, entrer dans son intimité et vivre sa solitude. La scène d’Axel seul, chez lui, appelant sa mère en est un exemple concret.

La rencontre du jeune héros avec Emma marquera un réel tournant dans l’histoire et j’aimerais que l’image et les couleurs suivent l’évolution du personnage qui va commencer un long cheminement vers la rédemption. Les couleurs seront chaleureuses, autour d’une colorimétrie dorée, orangée, rose, miel. Mellitus signifiant « sucré comme le miel » en latin.

L’utilisation de plus en plus marquée du steadycam et du trépied stabiliseront les plans qui accentueront l’apaisement d’Axel au contact de son héroïne. Mon court-métrage étant, avant tout, un film d’été, je compte utiliser la lumière naturelle du soleil le plus possible pour traduire ce réchauffement d’ambiance. Les plans de soirée d’Axel et ses amis dans la piscine et faisant la fête seront aussi l’opportunité de faire oublier la maladie au spectateur l’espace d’un instant. Des plans serrés de jeunes gens dansant et s’amusant, un montage dynamique et une musique électronique enivrante créeront une bulle intemporelle dans laquelle se trouveront tous les convives. Un gros plan d’Axel souriant à la vue d’une si belle soirée trahira l’état d’esprit du personnage, certes de plus en plus apaisé, mais conscient qu’il pourrait s’agir d’une des dernières s’il persévérait à ne pas se traiter.

Je traiterai toute la romance d’Axel et Emma, point central du récit, avec la douceur qu’implique une romance. Les mouvements de caméra lents, les silences signifiants, les regards subtils parfois intenses et parfois pudiques des deux héros appuyant cette tension amoureuse palpable. J’aurai aussi recours à des lumières rouges et orangées pour coller à l’esprit romantique et créer des ombres sur le visage de mes deux personnages qui garderont une part de mystère l’un pour l’autre. Aussi, j’élargirai les plans lors de l’incursion d’Axel et Emma dans la salle des fêtes. Cela laissera plus de place aux personnages et Emma aura tout le loisir de rentrer dans l’univers du jeune homme. Le fait qu’Emma et Axel danseront un slow sur Romeo and Juliette de Dire Straits seront des clins d’œil à l’œuvre de Shakespeare, que j’affectionne tout particulièrement. A ce titre, le décor me le permettant, je voudrais traiter, visuellement, la scène de danse à la manière du magnifique slow dans Phantom Thread de Paul Thomas Anderson. Le halo de lumière créera cet espace d’intimité pour nos deux personnages que je me permettrai de contourner avec un steadycam en me rapprochant de plus en plus à mesure que les personnages se séduisent.

Enfin, il m’est indispensable de tourner le dialogue final lors de l’heure magique. Je veux bénéficier de cette lumière “comme le miel”, de ce soleil qui casse la ligne d’horizon, symbolisant le renouveau et mettant en exergue le début de résilience d’Axel. Les plans très serrés sur les visages des comédiens me permettront de mieux retranscrire l’émotion de cette séquence tout en retenue.

Je voudrais une interprétation sobre et très contenue pour plus de réalisme et de puissance dans ce final à l’aube qui matérialisera le passage de l’ombre à la lumière d’Axel.

Samuel Ourabah

Auteur et réalisateur