ÉVEIL

NOTE D'INTENTION

Se mettre des barrières.

Une phrase qui résonne peut-être différemment aujourd’hui. Une phrase qui résonne aujourd’hui, presque plus qu’avant.

Eveil est une pièce dont le propos fait écho aujourd’hui, plus que jamais: elle met en scène six jeunes perdus dans un monde qui paraît toujours leur échapper. Un monde à la dérive dans lequel il faut avant tout être effectif, un monde qui leur a imposé des barrières et cette jeunesse n’ose plus, elle préfère l’amnésie à la réalité, elle dissocie et finit égarée entre ses rêves et la réalité.

À l’intérieur de cette zone grise, l’abîme se creuse et une nouvelle barrière se crée, une barrière formée de questions que l’on n'ose plus poser, que l’on ne veut plus percevoir, que l’on garde en
nous en secret et souvent même de façon inconsciente, et ces questions s’accumulent comme si elles voulaient étouffer l’horizon:

Mes ambitions ne sont-elles que fictions? Ma fiction peut-elle coïncider avec la réalité? Et avec la tienne? Ou suis-je la seule à posséder encore aujourd’hui la tentation dérisoire de faire vivre mes rêves?

Evidemment que non, mais le rappel est important, l’union est importante, celle des rêves et de la réalité certes, mais la nôtre aussi.

On n'a plus le choix.
On a voulu nous faire croire qu’on n'a plus le choix.
On s’est convaincu qu’on n'a plus le choix.

Et nos personnages, prisonniers de leurs solitudes respectives, ont oublié. Ils ont cloisonné leurs rêves. Ils ont tenté de se camoufler derrière les mécanismes que nous sommes tous tentés d’adopter en société et la pudeur étant devenue maladie, ils ont oublié tous les possibles: ils ont oublié que la fusion de tous ces pôles est possible.

Ce sont en premier lieu, l’alcool et l’illicite qui vont amener l’amnésie à disparaître et l’ivresse qui indiquera le chemin à leur mémoire oubliée afin d’enfin les frapper en plein cœur- cœur qui bat encore.

Nous les découvrons alors sous de multiples angles, en voyageant avec eux au travers de scènes drôles, légères et loufoques mais aussi au travers des monologues qui nous font pénétrer, comme hors du temps, toute la dimension poétique qui se cache au creux de la fragile bulle qui les protège.

Enfin, c’est le choc d’un événement et la brutalité de l’incarnation du réel qui les fera sortir de ce sentiment dissociatif. La bulle éclatera sous nos yeux. Elle se fissurera pour enfin laisser l’obscurité et la lumière se confronter, une lumière qui ne peut qu’envahir l’espace.

Si les personnages sont marqués par la dualité, le spectacle
l’est aussi en lui-même de par sa construction en deux parties
et en deux lieux distincts: ce sont deux mondes et deux formes esthétiques qui s’y mêlent.
Dans l’un, un monde étrange car trop rangé, irréel: une sorte de maison de poupée que la vie intérieure de nos personnages vient bouleverser; dans l’autre, un monde au-delà du réel aux bordures floues, un monde distordu pour enfin remplir les contours: l’hôpital, le lieu où ils se retrouvent enfin face à eux-mêmes
et où l’ici et maintenant est l’unique manière d’être.

L’universalité d’Eveil passe par les questions qu’elle aborde.
Des questions inhérentes à «l’humain en nous» comme l’expression de soi face au monde et le passage au réel, certes, mais aussi plus larges, sur la peur d’exister et de passer à côté de sa vie, l’incapacité de s’ouvrir à l’autre, la coexistence du physique et de l’intellectuel, l’endurcissement que le monde exige de nous ou tout simplement:

«Comment changer et se mettre enfin à vivre?»

Changer n’est peut-être que commencer par être pleinement soi-même. C’est cette volonté de prendre de l’élan et d’oser saisir nos rêves que nous souhaitons exposer ici.

Qui détient ici les clés de la porte qui mène à la vie?

                                                                       C'est moi

                                                                                                       et toi

                                                                        et toi-

                           C’est nous!