Stéphane Corbin 633

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Biographie




Je me souviens…

 

J’avais 15 ans et je vivais à la campagne. Internet balbutiait et les portables n’existaient pas. Les premiers mecs que j’ai rencontrés c’était par Minitel. « 3615 j’ai peur que mes parents me chopent sur la facture détaillée ». Dans la grande ville la plus proche, il n’y avait qu’un bar gay où je n’ai jamais osé entrer. Les fenêtres étaient toutes fermées par des rideaux noirs opaques.

 

Au lycée, aucune représentation de l’homosexualité. Ni dans les cours, ni chez les profs, ni chez les élèves. Je ne comprenais pas bien ce que je ressentais, et en plus je pensais que j’étais seul à le ressentir et qu’il fallait le cacher. Et personne, jamais, pour me parler d’amour…

 

La fac est arrivée, vaguement libératrice. Je suis tombé amoureux pour la première fois. Lui pas. Mais au moins j’arrivais à mettre un nom sur ce que je vivais et auprès de mes amis les plus proches, à ne plus faire semblant. Quelques bars ont ouverts. J’y allais de temps en temps. Je ne m’y sentais pas très à l’aise. J’ai entendu parler des saunas, je n’ai jamais voulu y aller. Je voulais être amoureux, simplement.

 

Je n’avais pas beaucoup de temps dans ces années là. J’étais occupé ailleurs, à vivre un drame familial qui me prendrait 5 années. 5 années qui nous emmènent en 1999, date où le PACS est enfin voté sous le gouvernement Jospin. De ce moment qui aurait dû être une joie, je me souviens surtout de la violence des opposants. Je me souviens des manifestations où des élus de la droite « modérée » défilaient entourés de pancartes « les pédés au bûcher », Christine Boutin et Christian Vanneste en tête.

 

Je me souviens que des gens voulaient que je brûle sur un bûcher, pour quelque chose que je n’avais pas choisi. Pour moi qui ai des origines juives, ça résonnait comme une vieille rengaine dégueulasse. Peut on imaginer aujourd’hui, en France, des pancartes « Au bûcher les trisomiques ! » ou « Au bûcher les Arabes !» ou « Au bûcher les roux ! »

 

Du PACS, je retiens aussi l’histoire de l’un de mes meilleurs amis, dont le compagnon est décédé l’année dernière, à un âge ou on n’est pas censé mourir.. Un PACS, contrairement à un mariage, ça se dissout à la mort de l’un des pacsé. Alors à la seconde où son mec est mort, mon ami n’a plus eu un seul droit sur ce qui allait suivre… La famille de son mec, qui l’avait pourtant rejetée depuis des années, du fait de son homosexualité, devenait celle qui allait décider de tout : l’enterrement, la cérémonie, la succession et jusqu’au choix de la photo qu’on mettrait sur la tombe. Mon ami n’avait plus son mot à dire. C’est pourtant lui qui l’avait accompagné, dans la joie et dans la mort.

 

Me sont revenues à ce moment là ces histoires que m’ont racontées des amis plus âgés, du début des années SIDA : deux hommes vivaient dans un appartement depuis des années, au nom de celui qui venait de mourir. Et celui qui restait, était sommé par la famille de celui-ci (qui l’avait évidemment complètement rejeté autrefois) de dégager séance tenante. Plus de compagnon , plus d’amour, plus de toit, plus rien…

Comme si la douleur de perdre son amour n’était pas assez forte, on vous dépossédait de qu’il restait d’humanité entre vous, de vos souvenirs tangibles de cet amour, de l’endroit où vous l’aviez construit et vécu, à deux…Et aucune loi n’était là pour contrer ça. Aucun droit. Aucun recours. Des vies entières laminées en une poignée de secondes.

 

J’ai la chance de vivre à Paris. J’ai la chance aussi d’être artiste et d’être entourés de gens tolérants, ouverts, intelligents. J’ai la chance, parce que je vis dans le marais, de pouvoir tenir la main de mon mec sans trop me faire insulter. J’ai la chance, parce que je suis un plus âgé maintenant, de n’avoir plus grand chose à foutre des regards gênés, et de ne plus entendre les insultes. Parce qu’il y a toujours des insultes.

 

Mais j’ai aussi peur, quelques fois. Peur de ne pas pouvoir faire ces choses aussi simples qu’embrasser l’homme que j’aime dans la rue, parce que ce n’est pas le bon quartier, la bonne ville ou la bonne heure.

 

Peur aussi parce que le temps tourne et que ça va finir par faire 10 ans que j’ai envie d’avoir des enfants. Et que je ne vois pas une seule bonne raison de ne pas en avoir le droit. J’ai un métier, je gagne de l’argent, je paie des impôts. J’appartiens à cette société.

 

Peur parce que j’ai déjà eu envie de passer le reste de ma vie avec un homme que j’ai aimé. Parce que quand je suis amoureux, je crois en ces choses naïves, stupides et belles. Et que j’ai déjà dit ces mots « je voudrais me marier avec toi ».

 

Il y a quelques années, je suis parti pour la première fois en vacances avec mon père et mon ami de l’époque. Mon père, très tolérant et intelligent a été très étonné : « Mais alors, vous faites les mêmes choses que nous, vous vous passez la main dans les cheveux, vous vous embrassez, vous vous faites des câlins ». Oui, on fait la même chose que les autres.

 

Alors oui, j’ai envie d’avoir le droit de me marier (ou de ne pas me marier). Mais le droit d’en avoir le choix ! Et oui j’ai envie d’avoir des enfants, qui seront des enfants de l’amour et pas de la honte. Et vous savez quoi ? Ils recevront de l’amour et du respect. Je ferai sûrement des erreurs, comme tous les parents, mais je serai aussi là pour eux, dans toute leur éducation, et avec tout l’amour dont je suis capable. Et il y a de grandes chances pour qu’ils ne soient pas gays ! Après tout, comme la plupart de mes congénères, je suis moi-même un gay fils d’hétéros. Et s’ils l’étaient, bien sûr, ça ne changerait rien et j’essaierais juste de les guider au mieux pour qu’ils ne mettent pas autant de temps que moi à le vivre simplement, et surtout, qu’ils ne connaissent jamais la honte.

 

Il y avait un slogan de mai 68 qui disait « pas de pitié pour les ennemis de la liberté », alors quand je vois la violence que génère le projet du mariage pour tous, c’est à ce slogan que je pense. On ne négocie pas avec les extrêmes, avec les fous, avec les intégristes. On passe outre et on les emmerde. Parce qu’ils ne peuvent pas avoir le droit de gagner.

 

Qu’ils continuent leurs mascarades ridicules et leurs discours d’un autre siècle construits sur l’ignorance, la peur et la bêtise. On sait bien qu’ils ne pourront pas gagner…

 

Et si les chansons peuvent, un peu, servir à quelque chose, puisqu’elles accompagnent nos vies et nos émotions, alors peut-être que c’était le moment d’en écrire et d’en chanter… De s’entourer de cette merveilleuse équipe des « Funambules », de leur talent et de leur générosité pour raconter nos histoires, des histoires ordinaires, des histoires qui parlent de tout le monde et à tout le monde. Nous partageons tous la même humanité, il était peut-être temps de le chanter…

Stéphane Corbin

http://www.les-funambules.com