Point De Résonance

Au cœur de la danse

L’envie de réaliser ce film commence par le désir de filmer le mouvement des corps dans une nature affranchie, émancipée de la main de l’homme. Les danseurs évoluent dans un univers sans repère spatio-temporel, l’environnement semble vide et abandonné, la cabane d'Alyssia évoque un décor post-apocalyptique où la végétation recouvre peu à peu les indices d’une civilisation déchue. Dans ce décor singulier, deux êtres humains se retrouvent.

Voilà mon point de départ, le point de convergence entre une nature qui reprend ses droits et des humains perdus, privés de leur langage. Toute communication est réduite aux mouvements d’une danse désespérée. En épilogue d'une époque où l'on a beaucoup parlé, où l'on s'est gavé de discours et où l'on a perdu toute croyance en l'action politique, ce qui reste c’est le geste, l’action véritable.

Les protagonistes sont poussés par une impulsion irréfléchie à communiquer. Suite à leur rencontre, un langage non-verbal, à la manière de la langue sifflé en Turquie, se développe pas à pas entre eux : des bruits d’impacts corporels, des paumes qui se tapent l’une contre l’autre, une langue qui claque contre le palais.

Une créature inspirée des mythes

En collaboration avec la cheffe déco / artiste plasticienne Marjolaine Balseva Ciavaldini, nous voulons explorer plusieurs approches et mêler le cinéma, l’animation et l’installation à travers un univers visuel riche et complexe.

Dans les premières secondes, nous sommes rassurés par la présence d’éléments connus : une maison, une cuisine, un jardin. Cela ne dure pas : une sensation d’inconfort apparaît progressivement car tout a été abandonné, une épaisse couche de poussière recouvre toute chose dans la maison, de la vaisselle sale a été oubliée, tout est moisi, pourri, rouillé, vicié.

Naissant de l’humus et des champignons, une forme vivante se développe, puis mue en une masse informe, d’abord de petite taille. Elle semble fragile, maîtrisable, inoffensive. Son aspect nous rappelle un bout de chair, qui évoque les créatures fantasmagoriques et organiques de David Cronenberg.

Progressivement, elle s’épaissit, évoluant à travers différentes formes, mimant parfois l’humain, essayant de lui répondre et de communiquer. Vorace, elle se déforme, s’étend jusqu’à devenir invincible. Le vivant s’évanouit à son passage, elle avale son souffle de vie dans une imagerie proche de l’Esprit de la forêt, dans le film d’animation Princesse Mononoké d’Hayao Miyazaki. Pour finalement échapper aux règles et aux normes de l’Homme en l’engloutissant pour ne faire qu’un.

Cet acte nous transporte définitivement aux abords d’une peur ancestrale, retranscrite de nombreuses fois à travers l’histoire de l’humanité, tel le récit biblique de Jonas avalé par la figure mythique de la baleine. Le ventre de la baleine est "là où se forment les montagnes", et aussi là où Jonas croit voir “le monde des morts” se refermer sur lui.

L’esthétique

Du point de vue esthétique, Point de résonance offre une réalisation particulièrement soignée. La partie fiction est définie par des cadres fixes, des mouvements de travellings fluides et maîtrisés, l’utilisation de focales standards pour appuyer l’esthétique de la fiction.

Les parties dansées sont plus libres, filmées caméra à l’épaule : le cadreur réagit à ce que proposent les danseurs et inversement. Un jeu naît entre eux, l’opérateur devient lui-même danseur, ses cadres sont mobiles, en recherche constante. Les focales, pour filmer la danse, seront la plupart du temps larges, pour permettre de se rapprocher, de chercher des gros plans, des expressions dans les visages.

À travers un découpage simple et minimal, je veux saisir l’essence du mouvement dansé. Les plans s’attardent, durent, afin de laisser vivre les moments et les mouvements dans toute leur expression. Les séquences de nuit sont éclairées par une source de lumière bleutée aux ombres dures afin de reproduire celle de la lune, les danseurs baignent dans cette lumière à l’atmosphère froide proche d’un clair-obscur. L’image, légèrement sous-exposée, procure un sentiment d’étrangeté, on peine à discerner les contours des silhouettes.

Le son

Concernant la musique du groupe Sosu Inn, elle n’est pas collée à l’image. Au contraire, elle devient poreuse, organique. Petit à petit, elle se fond avec le son du réel. Grâce au montage minutieux, elle apparaît à des moments clés de l’histoire puis s’absente lorsque le réel s’impose. La plupart des séquences auront un son direct, synchro. Nous filmerons les scènes de danse sans musique pour capter au mieux le son que produisent les corps en mouvement : les retombées, les battements de pas, les frottements et leurs respirations. L’importance de ces sons étend la perception de la présence charnelle des danseurs et de la densité de leurs impacts.