A la vie, à la mort !

LE PITCH

Lundi 5 Septembre 2022,

Réunies autour d'Isabelle, nous attendons toutes ensemble la bénévole d'Exit. Elle vient pour lui procurer une substance chimique qui va la plonger en douceur dans un sommeil éternel.

Autour de cette table de cuisine, la plus jeune, c'est Lola. C'est elle qui m'a emmené dans cette aventure. Elle a 26 ans et une allure qui respire l'anti-conformisme, mais au fond, elle est comme beaucoup de jeunes filles de son âge : elle cherche sa voie, et puis elle cherche l'amour aussi, un vrai, sincère. Malgré nos 15 ans d'écart, on est vraiment amies. Fin 2021, elle me fait deux révélations qui vont clairement donner le ton de l'année à venir.

Elle a rencontré un garçon. Elle essaie de ne pas s'emballer mais on espère que ça va marcher.

La deuxième annonce est tragique. Sa mère veut mourir. Elle est atteinte d'une maladie dégénérative incurable, et dans son pays, la Suisse, le suicide assisté est possible pour les personnes dans sa situation. Je demande à Lola de me parler de sa mère. Elle se souvient qu'elle lui a souvent dit qu'elle aurait aimé être « recueilleuse de vie ». C'est beau ça...recueillir la vie des gens, quels qu'ils soient, pour faire trace de l'irréductible singularité de chacun d'entre nous. On devrait pouvoir le faire avec tout le monde. Chaque vie, c'est un récit, c'est quelque chose. Cela doit toujours valoir la peine, personne n'est « rien ».

« Et si on faisait ça pour ta mère, si on recueillait son histoire, sa parole ? Il faudrait que tu lui demandes ce qu'elle en pense ! » Elle lui en a parlé. Elle a dit oui. Alors j'ai rejoint Lola chez sa mère en Suisse, à Chavornay, un village du canton de Vaud.

Isabelle m'accueille avec une grande hospitalité. Depuis que sa décision est prise, elle ne se précipite pas pour créer de nouveaux liens. La maladie et les douleurs qu'elle occasionne l'épuise. Elle se concentre plutôt sur ses proches et s'attache à adopter une attitude de détachement, mais pourtant, elle m'a déjà fait une place. Je pense que ça lui fait plaisir de rencontrer les amis de sa fille, de savoir qu' elle sera entourée pour affronter son deuil. Et puis on s'est bien entendu. Je reviens plusieurs fois, elle accepte que je tourne des images.

Ensemble, on décide de faire un film documentaire qui parlera de la vie, de la mort, de la souffrance et de la liberté.

POURQUOI CE FILM ?

Avant de rencontrer Isabelle, je dois dire en toute sincérité que je n'avais jamais réfléchi à l'euthanasie, je n'avais même pas conscience de la polémique qu'elle représentait à l'intérieur de nos frontières.

Je mesure aujourd'hui l'importance sociétale de ce sujet, et la nécessité d'en parler.

De décembre 2022 à Mars 2023 s'est tenu en France une convention citoyenne sur la fin de vie. Le sujet de l'aide active à mourir y a été grandement soulevé. Au même titre que les soins palliatifs. Il est évident que ces deux sujets ne s'opposent pas l'un à l'autre. Il faut mettre tous les moyens possible en œuvre pour comprendre et accompagner les personnes qui souffrent. Pour les comprendre il faut les écouter. Pour les accompagner dignement, il faut respecter leur volonté. Et bien entendu, les volontés diffèrent. Notre rapport à la souffrance et à la mort, à ce qui est supportable ou non, c'est très personnel. Il n'y pas de bon, ou de mauvais chemin. L'important me semble être d'avoir le choix.

A ce jour, le gouvernement ne s'est pas encore positionné suite aux conclusions de cette convention citoyenne.

Si on avance en faveur de l'aide active à mourir, il faudra créer des infrastructures et des protocoles qui en régissent le fonctionnement. Notre film offrira un regard sensible mais aussi informatif sur ce sujet dont la mise en place soulève de nombreuses questions, que ce soit pour les personnes qui souffrent comme pour celles qui les accompagnent .

Si, à l'inverse, nos dirigeants restent sur leurs positions, notre film revêtira sans doute un caractère militant, comme le désirait Isabelle, notre héroïne. Défenseuse aguerrie de la liberté de pensée, grande insurgée toujours en quête de lumière, nous serons fières de lui rendre hommage en présentant son témoignage comme un étendard.

A titre plus personnel, avec ce film, je souhaite partager la leçon que j'ai reçu.

La mort, souvent, on la craint et on préfère éviter d'y penser. Personnellement, le simple fait de devoir admettre son caractère inéluctable me procure encore une certaine angoisse. Isabelle la convoque, et fixe elle même l'heure du rendez-vous. C'est impressionnant. Je sais que je n'oublierai jamais cette expérience à ses côtés.

J'ai du affronter mes craintes moi aussi, on ne peut pas prétendre que c'est confortable de savoir que la mort va venir.

Echanger avec quelqu'un qui, en pleine conscience, tisse ce genre de relation avec la mort, cela apaise la crainte. Cela permet déjà d'envisager qu'un jour on est prêt, c'est tranquilisant. Je crois même que cela peut aider à mieux vivre.

Lui donner la parole, recevoir son témoignage, la montrer, vivante et determinée, c'est une façon de dédramatiser la mort.

Cela me paraît très intéressant comme processus, assez fondamental finalement. Incontestablement, nous sommes tous concernés.

Apprendre à se libérer, c'est apprendre à mourir.

C'est loin d'être évident mais c'est pourtant le terreau de nombreuses philosophie.