Quatre Fantastiques

Si je suis définitivement tombé dans le chaudron du quatuor à cordes, c'est que j'ai trouvé en cette formation fascinante le plus pur révélateur de ma pensée musicale. Elle propose au compositeur une réponse sans compromis à un désir d’absolu.

LES SUPERPOUVOIRS DU QUATUOR

Un « quatuor à cordes » est à la fois une formation de musique de chambre, une œuvre musicale, et un ensemble constitué de quatre musiciens. Tout comme pour le trio, cette polysémie suggère un statut à part, mais la singularité du quatuor est sans doute plus profonde encore.

Avec deux violons, un alto et un violoncelle, il est possible d’exprimer la plupart des idées musicales. Quatre, c’est déjà bien assez si l’on songe que l’oreille doit pouvoir suivre les péripéties de quatre voix qui peuvent parfois toutes réclamer leur indépendance en simultané. Le tracé de quatre lignes pouvant s’unir, s’opposer, se compléter, s’émanciper, se répondre, se poursuivre, offre des possibilités expressives et combinatoires qui donnent simplement le vertige.

Lorsque ces voix s’unissent en un seul chœur, la rencontre de quatre sons suffit déjà à former ou suggérer presque tous les accords de la grammaire musicale. Et si cela s’avérait ponctuellement insuffisant, les doubles cordes viennent prêter main forte là où un quatuor de vents ou vocal se retrouverait de facto limité, puisque ces membres sont des instruments monodiques. Enfin, s’il est nécessaire de prolonger le son à l’infini, les archets n’ont nul besoin de reprendre leur souffle.

A tout seigneur tout honneur, si bien qu'on pourrait tout de même s'incliner devant le règne suprême du grand orchestre symphonique. A vrai dire, disposer de dizaines d'instruments ne va pas démultiplier d’autant le potentiel du quatuor à cordes. En réalité, un socle à quatre parties se retrouve bien souvent enchâssé au sein de l’orchestre dans des configurations variées, qui sont cette fois mises en lumière par la richesse des timbres. Si une savante alliance des instruments peut créer de petits miracles, rechercher la couleur pour elle-même revient à cuisiner surtout pour le dressage de l'assiette. Écrire pour l’orchestre, c’est davantage sublimer sa cuisine par un visuel d’exception et quelques épices rares. Le quatuor, c’est d'une certaine manière le goût lui-même.

L'AUTHENTICITÉ AUX RAYONS X

Composer pour le quatuor à cordes implique de se soumettre à une écriture particulièrement exigeante. Pourquoi se l’imposer, voire même le désirer ?

Le quatuor ne se laisse pas docilement apprivoiser par une démarche artistique où le conceptuel déborderait l'esthétique. Pas plus qu'il n'autorise le compositeur à divertir l’auditeur à grand renfort d’effets spectaculaires. Dans ce contexte à l’air raréfié, il ne peut y avoir de supercherie puisque l'expression est réduite à l’essence même du propos.

A l’issue de cet effort d’ascèse, la récompense peut être de taille, car le quatuor agit sur la matière musicale comme les rayons X sur un organisme. C'est un filtre magique qui révèle tout ce qui se passe à l'intérieur, la chair de l’inspiration comme le squelette de la réalisation. Il expose fulgurances et faiblesses.

Pour le compositeur, se risquer à cette vérité là, c'est l’abandon délibéré de toute auto-complaisance pour tendre vers l'authenticité. Ainsi, c'est une manière d’embrasser un désir d’absolu.